Critique de « Youth (Hard Times) » : la suite du documentaire sur le travail de Wang Bing désoriente avec un objectif

Critique de « Youth (Hard Times) » : la suite du documentaire sur le travail de Wang Bing désoriente avec un objectif

En tant que personne ayant passé des années immergée dans les dures réalités des documentaires sur le travail, « Youth (Hard Times) » de Wang Bing a profondément résonné en moi. Après avoir regardé ses œuvres précédentes, j’ai été frappé par l’évolution subtile mais profonde de son approche narrative. Le film est un témoignage poignant de la marche incessante du temps et de l’esprit humain qui refuse de céder sous son poids.


Dans ce qui semble être la suite de la série documentaire textile de Wang Bing, son film « Youth (Hard Times) » offre une perspective inattendue sur le passage du temps. Le scénario, qui se concentre sur le mécontentement croissant parmi les jeunes travailleurs de Zhili, un quartier de la ville de Huzhou, est construit à la fois à la fois subtil et précis. Il suit divers sujets humains dont les vies se croisent rarement, mais qui partagent des circonstances similaires. D’une durée de près de quatre heures, il surpasse son colossal prédécesseur « Youth (Spring) », tout en s’appuyant sur ce film comme base pour une enquête plus approfondie.

Pour moi, plonger dans le monde du travail dans le secteur de l’habillement suite à l’expansion du textile en Chine a été un intérêt constant, un thème que j’ai largement exploré dans mon travail. Mon documentaire de 2016 « Bitter Money » se concentrait sur les luttes des travailleurs migrants, tandis que mon installation muséale « 15 Hours » plongeait les spectateurs dans une seule et longue prise au sein d’une usine de vêtements. « Jeunesse (Printemps) » a marqué le début de ma nouvelle trilogie et partageait des similitudes avec cette dernière en termes de style et de contenu, dans le but de faire ressentir au public le passage prolongé du temps. Mon dernier travail, « Youth (Hard Times) », présenté en première au Festival du film de Locarno, semble plus ciblé et intentionnel, non seulement dans sa portée plus large mais aussi dans ses techniques innovantes.

Les deux films, ainsi que le troisième volet à venir de Wang, « Youth (Homecoming) », filmé à partir d’innombrables heures de séquences collectées au fil des ans, seront présentés en avant-première à Venise le mois prochain. De 2014 à 2019, Wang a tourné ces films alors qu’il vivait parmi les ouvriers dans leurs dortoirs délabrés situés sur Happiness Road, ironiquement nommé car il abrite plus de 18 000 usines privées. Bien que gouvernée par un parti dont le titre est « communiste », la Chine fonctionne sous un système capitaliste. Au départ, le style visuel et auditif de la suite semble familier, avec de subtils plans moyens capturant de jeunes Chinois travaillant sur des machines à coudre bruyantes, leur cliquetis répétitif formant un bourdonnement monotone. Au fil du temps, vous vous habituez au bruit de fond écrasant.

Contrairement au film initial qui décrivait le temps comme un voyage expansif et délibéré, « Youth (Hard Times) » utilise des angles de caméra inattendus pour suggérer le passage du temps et la détérioration des conditions. Les étages de l’usine semblent chaotiques et encombrés par rapport à ceux du premier film, signalant un changement d’environnement mais faisant également allusion au temps écoulé. Cette subtile manipulation de l’espace rappelle aux spectateurs qui regardent les deux films consécutivement que les choses ne sont plus stables. L’utilisation dans la suite de lumières fluorescentes et de couloirs sinueux et ombragés à l’intérieur des bâtiments d’usine crée un effet désorientant pour les spectateurs. Ce qui peut apparaître comme le jour dans une scène se révèle rapidement être la nuit, et vice versa, avec des personnages se déplaçant entre les pièces et les balcons. Cette technique narrative prive le temps de son sens lorsque la vie est dominée par une tâche unique et monotone.

La majorité des travailleurs présentés dans le film (via le texte à l’écran) sont de jeunes adultes, principalement originaires de la province d’Anhui. Cette mention répétée tout au long du long film pique la curiosité. Cette touche subtile constitue un mystère intrigant au sein du film, qui nécessite un développement minutieux et délibéré. Tout au long du récit, Wang décrit habilement la camaraderie et les conflits interpersonnels qui font que le point culminant en vaut la peine.

Une fois de plus, Wang évite de s’attarder excessivement sur un seul personnage, tissant plutôt son scénario plus large en utilisant des contradictions symboliques. Il dépeint des hommes travaillant dans la chaleur accablante de l’été sur des manteaux d’hiver qu’ils ne peuvent pas se permettre, ou des partenaires romantiques incapables de développer leurs liens émotionnels et physiques en raison de contraintes de temps, alors qu’ils créent de la lingerie sans entrejambe.

Quelques travailleurs âgés ajoutent de la profondeur au récit actuel. Une femme amène même son jeune enfant pour l’aider. Une autre dame accompagne sa mère. Une scène étrange mettant en scène un parent d’âge moyen avec des boules de coton dans les narines (vraisemblablement à cause de l’odeur de sueur ou de saleté ; cela pourrait ressembler à un embaumement de corps, comme on le voit dans de nombreux pays, comme la Chine) soulève des questions sur la situation. Prises ensemble, ces images ont un impact émotionnel important. Ils semblent se demander : s’agit-il de la vie entière des pauvres en Chine, de la naissance à la mort et même au-delà ?

Au fil du temps, des désaccords sur le paiement surgissent entre les ouvriers et leurs superviseurs, marquant un nouveau développement dans la trilogie de Wang alors que les machines à coudre s’arrêtent. Le silence qui s’ensuit est troublant, comme si une scène cruciale avait été omise du film. C’est décourageant d’y penser, mais il semble que travailler sous l’oppression capitaliste soit devenu si routinier pour ces individus que leur lutte quotidienne est devenue partie intégrante de qui ils sont, consommant leur essence même. « Youth (Hard Times) » aborde cette situation difficile en se concentrant sur les conflits internes, les négociations collectives et les dures répercussions de telles actions. Le récit se déroule alors que les jeunes migrants chinois s’efforcent d’échapper à l’environnement industriel restrictif, où les heures de travail excessives, les maigres salaires et la perte de connexion avec le monde extérieur s’accompagnent d’une érosion de l’humanité.

2024-08-15 17:16