La réalisatrice d’Emmanuelle, Audrey Diwan, partage les secrets de son drame érotique, des faux orgasmes à l’esprit de Wong Kar-wai

La réalisatrice d'Emmanuelle, Audrey Diwan, partage les secrets de son drame érotique, des faux orgasmes à l'esprit de Wong Kar-wai

En tant que cinéphile et critique avec un sens aigu du détail, je me trouve captivé par l’approche unique adoptée par cette équipe créative pour donner vie à « In the Mood for Love » dans la décoration de leur hôtel. Le clin d’œil subtil au chef-d’œuvre de Wong Kar-wai témoigne non seulement de l’influence durable du film, mais aussi du reflet de l’approche réfléchie et introspective du réalisateur en matière de narration.


En ouverture du Festival du film de Saint-Sébastien 2021, « Emmanuelle » d’Audrey Diwan constitue une suite surprenante à son film primé « Happening ». En apparence, cela peut paraître vrai, mais voyons quels rebondissements nous attendent dans cette nouvelle production.

Au lieu de l’énoncer directement, le cinéaste a opté pour une stratégie similaire à l’original, en se concentrant sur une traduction littéraire pour intensifier l’immersion sensorielle du public, explorant notamment la quête insaisissable de la gratification physique. Comme Diwan l’a partagé avec EbMaster, « Le but était essentiellement un rajeunissement. Il s’agissait de raviver ces sensations et ensuite de les transmettre aux téléspectateurs.

L’adaptation 2021 du roman « Emmanuelle » de 1967 présente une nouvelle interprétation où Emmanuelle, aujourd’hui dans la trentaine (interprétée par Noémie Merlant), joue le rôle d’une inspectrice hôtelière tranquille chargée d’évaluer la qualité, notamment pour un hôtel haut de gamme de Hong Kong. . Cet hôtel est géré par Naomi Watts et accueillerait un invité énigmatique, joué par Will Sharpe, qui ajoute une couche de mystère au décor.

Dans ce film, l’accent mis sur le plaisir est indéniablement présent, mais il échoue souvent, plongeant aussi profondément dans la déception que dans l’exaltation. En tant que critique du film, je peux attester que Diwan affirme : « Le plaisir et sa quête doivent rester énigmatiques ». Ce film, à mon avis, s’efforce d’examiner ce sujet d’un point de vue personnel sans apporter de réponse définitive et globale. Après tout, comme toute femme vous le dira, le plaisir a une connotation unique et individuelle.

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Comment avez-vous décidé de faire suite à ce projet « Happening ? »

Personnellement, je me méfie du confort, car ma créativité se nourrit de passion et de peur, des émotions qui me poussent à consacrer trois ans à un projet. Par conséquent, lorsque mes producteurs m’ont suggéré « Emmanuelle », je n’ai pas été facilement convaincu, car je n’avais pas regardé le film original dans son intégralité mais j’avais trouvé le roman source intriguant. Le scénario prend une tournure inattendue environ aux deux tiers du parcours, s’arrêtant pendant près de 100 pages pour se plonger dans une discussion sur l’essence du désir. Cela a suscité une réflexion : l’érotisme pourrait-il encore servir de force narrative puissante, et comment les thèmes de 1967 pourraient-ils encore résonner aujourd’hui ? Ces idées pourraient-elles être réinterprétées en termes cinématographiques contemporains ?

Comment ça ?

À la base, l’érotisme tourne autour du contraste entre ce qui est révélé et ce qui reste caché. Dans les années 70, l’attrait était d’en montrer davantage, ce qui a fait du premier film un énorme succès. Cependant, j’ai trouvé que les aspects inédits étaient plus intrigants. Je voulais amplifier cette tension en encourageant les spectateurs à participer activement au film et à contribuer au récit. Pourtant, cela n’était pas suffisant pour justifier l’investissement, jusqu’à ce que j’imagine le concept d’une femme qui a perdu sa capacité à ressentir du plaisir et qui se lance dans une quête pour le retrouver. [Après « Happening »], j’ai pensé que si je pouvais représenter la douleur, je pourrais peut-être faire de même pour le plaisir.

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Comment avez-vous fait vôtre ce monde ?

Le film explore la relation d’un personnage avec le monde plutôt que simplement son moi physique. En réinterprétant « Emmanuelle », j’ai cherché à offrir une nouvelle perspective en me concentrant sur un professionnel mature plutôt que sur une jeune débutante, en utilisant cette base pour développer le récit. Ce type de femme est confronté à des pressions sociétales uniques pour exceller et se livrer à toutes les opportunités de nouvelles expériences, qui renforcent en fin de compte le même message : vous devez constamment vous amuser et réussir. Cependant, cette poursuite peut devenir écrasante. Ainsi, ma co-scénariste Rebecca Zlotowski et moi avons imaginé un arc narratif visant à libérer ces attentes, à s’ouvrir, à faire une pause et à rejeter ces demandes.

Pourquoi placer le film dans un hôtel de luxe ?

Un hôtel haut de gamme semble perpétuel et cohérent lors de notre expérience de tournage, avec un arôme, une musique et un décor éternels. Si quelque chose bouge, il revient à sa position initiale le lendemain. Il y a un sentiment de désorientation face à cet éternel présent – ​​une ambiance séduisante mais froide. Les troubles sont rares et même lorsqu’ils surviennent, ils sont rapidement résolus. Emmanuelle devient également un outil dans ce domaine, se concentrant sur le contrôle qualité pour maximiser le plaisir des clients. Elle reconnaît cependant que ces moments de plaisir sont orchestrés et font partie de l’esthétique de l’hôtel.

Le décor et la présence de Will Sharpe rappellent « Le Lotus Blanc ».

Absolument, il est intrigant de constater à quel point de nombreux films et séries abordent ce thème particulier. À mon avis, « Le Lotus Blanc » partage le même fil narratif, approfondissant le concept de façades et d’unicité, révélant des vérités cachées. Le cadre de l’hôtel sert de barrière, favorisant un sentiment de détachement, et chacun semble porter une forme de couche protectrice. Il existe un fossé clair entre le moi présenté et ce qui se passe en privé, l’establishment dressant un tableau de la solitude contemporaine. Nous rencontrons des personnages, mais nous ne parvenons pas à vraiment nous connecter avec eux. L’hôtel présente un attrait exotique, mais il ne nécessite pas une véritable interaction avec le monde.

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Un nombre important de moments privés du film mettent en scène Emmanuelle seule. Pourquoi mettre l’accent sur un style de représentation aussi gratifiant ?

Cette relation vacante reflète une aspiration à restaurer les relations avec le monde. Les gens ont soif de se reconnecter parce que la vraie joie vient du fait de sortir de l’isolement et de s’engager véritablement avec les autres. En fin de compte, le film vise à plonger dans la nature étouffante du plaisir artificiel. À un moment donné, on aspire à se libérer de la superficialité, à quitter l’établissement où chaque interaction est scénarisée et prédéterminée, un lieu si dépourvu de créativité qu’il manque d’espace pour la fantaisie. C’est le moment que je voulais souligner : l’envie de se libérer et de respirer profondément après s’être senti piégé.

Le film ne doit pas être vu comme une simple réinterprétation féministe, contrairement à ce que suggèrent certains médias français, et il ne se présente pas de manière ouvertement sensuelle.

Je rencontre fréquemment l’étiquette de « féministe » lorsque je parle de toute exploration du plaisir féminin, et il semble que cela ait également été appliqué au film « Emmanuelle » des années 1970. Même si le titre « Emmanuelle » véhicule de puissantes associations susceptibles d’influencer les attentes des spectateurs, mon objectif était de créer une œuvre qui transcende les normes conventionnelles plutôt que de simplement les renverser. Une approche aussi simple semblait trop simpliste et aurait abouti à une expérience visuelle étroite.

De plus, je ne voulais pas que la sensualité du film se limite aux seules scènes de sexe explicites. Cela ressemblerait plus à faire un film de sport terne, vous comprenez ? Pour moi, la sensualité est un sentiment primordial. Il s’agit de créer une atmosphère qui suscite la curiosité et l’envie. Je me suis retrouvé à revisiter « La Mère et la putain » de Jean Eustache pendant le processus d’écriture, et cela m’a rappelé à quel point le dialogue peut être puissant dans un contexte sensuel. Même quelque chose d’aussi ordinaire qu’une tempête, lorsqu’elle est représentée de manière vivante et s’infiltre dans un décor apparemment parfait, peut susciter ces émotions.

En tant que passionné, je ne peux m’empêcher de faire des parallèles avec la maîtrise cinématographique de Wong Kar-wai en considérant l’atmosphère et la narration de cette pièce.

Sans aucun doute, de nombreuses personnes mentionnent souvent « In the Mood for Love » lorsqu’on leur demande de nommer un film érotique. Cependant, il s’agit davantage de personnages qui se rencontrent accidentellement et se touchent physiquement dans les couloirs. Je trouve cette définition de l’érotisme intrigante ! D’ailleurs, difficile de ne pas faire référence à ce film lorsqu’on est à Hong Kong en raison de sa popularité.

Pendant un certain temps, les restrictions liées au Covid m’ont empêché de voyager à Hong Kong. Au lieu de cela, j’ai trouvé un hôtel en ligne qui a attiré mon attention, et c’est là que j’ai finalement décidé de prendre mes photos. Plus tard, lorsque j’ai finalement pu repérer physiquement les lieux, j’ai découvert 40 spots supplémentaires, mais je suis resté fidèle à celui que j’avais trouvé initialement sur Internet. Un jour, j’ai rencontré l’architecte d’intérieur de l’hôtel qui m’a informé qu’il avait conçu l’espace en pensant à « In the Mood for Love ». D’une manière ou d’une autre, l’esthétique du film s’est subtilement infiltrée dans la conception, et nous n’avons pas tenté de nous en écarter.

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Comment avez-vous abordé les moments les plus intimes du film ?

Nous avons affaire à un aspect caché, à savoir la réponse physique intense, insurmontable et difficile à décrire connue sous le nom d’orgasme chez la femme. Cependant, ce véritable point culminant féminin est souvent décrit d’une manière qui ne trouve pas d’écho chez une femme qui a réellement éprouvé un tel plaisir. Représenter ce moment est un véritable défi, surtout pour une actrice comme Noémie, qui doit simuler quelque chose qui ne peut pas être simulé de manière convaincante comme un faux orgasme.

Dans ma quête, je cherchais à m’éloigner des représentations familières, en créant quelque chose qui semblait authentique bien que faux, un effort qui s’est avéré infatigable. Nuit après nuit, prise après prise, mais je n’ai jamais senti que nous étions sur la bonne voie. Et puis, alors que l’épuisement s’installait, l’inspiration a fleuri. Noémie a vu son corps se relâcher et elle s’en est emparé. Avec la fatigue est venu un moment de clarté – un soupir et un sourire incommensurables.

Comment vous et Merlant avez-vous abordé le sujet ?

Au lieu de nous concentrer sur la représentation de l’aspect physique des personnages féminins comme on s’attend généralement à ce qu’ils soient représentés, nous avons choisi de nous plonger dans leurs sentiments, leurs sensations et leurs expériences intérieures. Plutôt que d’utiliser la caméra pour afficher notre propre point de vue, nous avons cherché à collaborer avec l’actrice, lui permettant d’enquêter et de comprendre son personnage pendant que la caméra répond et interagit avec elle. Avec Laurent Tanguy comme directeur photo, nous nous sommes efforcés de capturer des images sans que la caméra n’envahisse l’espace personnel ni ne s’immisce dans l’intimité de l’actrice. Cette approche vise à renverser les rôles traditionnels entre la caméra et l’actrice, permettant une relation plus dynamique et interactive.

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Travailler avec un acteur qui réalise également affecte-t-il votre relation sur le plateau ?

En effet, ils le font. Notamment, Noémie et Will ont tous deux une formation en réalisation, ce qui rend notre collaboration particulièrement intéressante alors que nous approfondissons les discussions sur le cadrage. Ils ont instinctivement saisi les subtilités des deux côtés de la caméra, reflétant mon point de vue. Ce fut pour moi une exploration instructive.

Dans un premier temps, Noémie s’est lancée dans une carrière de mannequin, ce qui lui a permis de maîtriser intimement le cadrage et le positionnement approprié de son corps. Sa fascination pour ce sujet est évidente dans son film auto-réalisé, « Les Balconettes ». Se plonger dans ces sujets lui a procuré un sentiment de libération ; elle est incroyablement libre d’esprit car elle définit clairement la façon dont elle souhaite représenter la forme humaine.

Né d’un héritage à la fois britannique et japonais, Will s’est senti attiré par l’exploration de ses ancêtres japonais à travers son travail. Il est également toujours soucieux de la représentation. Mon directeur de casting a suggéré que nous nous entendions bien, mais il est resté discret sur les détails. Alors, quand je l’ai finalement rencontré, il était ravi de me dire qu’il avait passé le réveillon du Nouvel An avec des enfants et avait décidé de regarder « Happening » alors que l’horloge sonnait à minuit. Il y voit le signe qu’il devrait réfléchir à ces questions au cours de l’année à venir !

La réalisatrice d'Emmanuelle, Audrey Diwan, partage les secrets de son drame érotique, des faux orgasmes à l'esprit de Wong Kar-wai

2024-09-20 11:17